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2 décembre 2014

GARDE ALTERNEE, LE POINT DE VUE DE L'ENFANT,

Dessin de GOUBELLE

La séparation d'un couple est un phénomène fréquent. Lorsque celui-ci a donné naissance à un enfant, les problèmes de garde que les parents doivent régler sont volontiers complexes voire conflictuels. Le législateur, dans un esprit de parité homme-femme, a actuellement la tentation d'imposer une résidence alternée paritaire sans limite d'âge pour l'enfant. Ceci ne prend nullement en compte l'impact psychologique possiblement grave de ce mode de garde pour le jeune enfant. C'est pourquoi de nombreux professionnels de la santé psychique ont réfléchi sur ce sujet. Ce sont ces réflexions qui sont abordées ici.





"La résidence alternée, vue du côté de l'enfant" tel était l'intitulé d'une conférence de Bernard Golse, pédopsychiatre, organisée récemment à Caen et dont je souhaite faire partager la teneur enrichissante.

Une fois de plus, avec cet orateur de grande qualité, à la fois clair, modéré et convaincant, les auditeurs sont rentrés chez eux avec l'impression plutôt rare et agréable d'avoir progressé en intelligence.

Le Pr. Golse se garde de rentrer d'emblée dans un débat qu'il juge trop passionnel et souhaite « partir de loin », c'est à dire faire un rappel des concepts de l'attachement du très jeune enfant. Rappel qu'il n'assène pas comme des certitudes, mais bien comme un corpus de connaissances constitué récemment. Une cinquantaine d'années n'est pas grand chose à l'échelle de l'histoire de l'humanité ! Et l'enfant décrit par Philippe Ariès [1] n'a pas grand chose à voir avec celui du 21ème siècle. Il est vrai aussi que celui de Neuilly n'est pas non plus celui de Niamey. Ces connaissances sont issues de la psychanalyse et de l'observation du bébé, le plus souvent confirmées par les neurosciences.

Bernard Golse confie ses trois domaines de prédilection et donc de recherche: le développement précoce, l'autisme infantile et l'adoption. Il en profite pour rendre un hommage appuyé à Michel Soulé dont il fut l'élève.

Un nouveau né est confronté à quatre systèmes de motivation primaire. 

On peu aussi parler de quatre « chantiers », que l'on sépare dans un souci didactique, mais qui sont en réalité quasi-concomitants et toujours inter-reliés. Ce sont l'auto-conservation, l'attachement, l'inter-subjectivité, la régulation plaisir-déplaisir.
  
1- L'auto-conservation va  biologiquement de soi. Il faut comme le disait Soulé en 1980 « que le bébé opte pour la vie » [2] quand s'enclenchent les grandes fonctions vitales de l'organisme.

2- L'attachement est un concept spatial, physique qui permet à l'enfant de réguler au mieux la juste distance avec autrui afin de construire son espace de sécurité. Freud a repris la célèbre métaphore des porcs-épics, à partir d'un conte de Schopenhauer [3] : Si les porcs-épics sont trop éloignés, ils ont froid et donc ils se rapprochent et du coup, ils se piquent alors ils s'éloignent. Cela signifie que l'attachement n'est pas du collage. Il faut dépasser le pessimisme du philosophe d'outre-Rhin et s'appuyer sur la terminologie espagnole «apego» (attachement), qui évoque plus l'étayage, la prise d'appui et non la bonne distance jamais trouvée... On peut lire aussi les travaux de Blaise Pierrehumbert, psychologue travaillant à Lausanne [4].  


3- L'inter-subjectivité. Le bébé va réguler au mieux sa juste distance psychique, cette fois avec autrui, afin de se sentir exister comme une personne à part entière. Bernard Golse compare le bébé à une araignée qui s'éloigne ou se rapproche du plafond au gré des liens qu'elle a tissé (encore que là, le plafond ne joue qu'un rôle de support plutôt passif).

4- La régulation des expériences émotionnelles plaisir/déplaisir. C'est le dernier chantier qui l'amène à rechercher les expériences de plaisir, fuir les expériences de déplaisir et savoir attendre, surseoir pour en tirer des plaisirs encore plus grands.  


L'épigénèse et la plasticité cérébrale.


Freud avait fait remarqué en 1926 que le bébé humain était à la naissance le plus immature de tous les bébés mammifères [5]. Il évoquait le manque à la grossesse d'un quatrième trimestre (à vrai dire peu souhaité par les mères). Même à terme, il est certain que le nouveau-né humain est tout à fait inachevé et beaucoup plus dépendant de son entourage que le petit poulain ou le petit veau ! Cet inachèvement premier de l'être humain, que l'on désigne du terme savant de néoténie, est certes un facteur de fragilité, de vulnérabilité et de dépendance à l'environnement mais aussi, si l'on s'en réfère à l'évolution Darwinienne, une source d'avantages. 

Le cerveau humain a connu une première organisation anté-natale avec la mise en place des différents appareils sensoriels. Mais la plus grande partie de sa construction s'effectue après la naissance jusqu'à 4 ans au moins. Nous avons autant de gènes que les mouches, soit 35.000. Notre différence avec la mouche c'est que nous sommes le produit certes de ces 35.000 gènes, mais aussi de l'épigénèse.


L'épigénèse  gouverne l'expression du génome humain et paraît susceptible de se modifier en fonction de l'environnement post-natal dans toutes ses modalités et qualités (alimentaire, écologique, socio-culturel et bien sûr relationnel). C'est dire si l'épigénèse cérébrale et son corolaire, la plasticité cérébrale, sont des arguments de toute première importance en terme de développement pour accorder aux tout-petits une attention et des soins de très bonne qualité. Il en résulte des enjeux éthiques et professionnels qui ne sont pas sans rapport avec le sujet qui nous occupe.


L'institut Pickler de Budapest constitue en la matière la référence pionnière (1946) et incontournable ? L'attention portée aux rythmes de l'enfant, la continuité, la stabilité, la prévisibilité de l'auxiliaire de puériculture « de référence» y ont permis de pallier à la carence affective institutionnelle et partant de prévenir les perturbations du développement [6].


L'intérêt premier de l'enfant est une notion qui demande à être explicitée, on parle aussi d'intérêt supérieur de l'enfant. 

Nous avons vu à quel point cela doit être contextualisé d'un point de vue historique, géographique et sociologique. Bernard Golse retient deux exigences principales :

1- Un attachement sécure dans les 12/15 premiers mois de vie. 

2- Un bon équilibre entre les composants masculins (régulation, loi) et féminins (contenance, enveloppe) de chacun des parents et des professionnels. Cette bi-sexualité psychique est une notion qui n'est pas à considérer de façon simpliste et simplificatrice. Cela veut simplement dire que les pères peuvent être contenants et enveloppants et les mères mettant des limites mais qu'ils ne sont pas pour autant interchangeables.  

Bernard Golse insiste sur la représentation de la propre enfance du professionnel qui est souvent à l'origine du choix de son métier et de sa « vocation ». Il s'agit alors souvent du « bébé que l'on craint d'avoir été ». Par exemple un bébé maladroit justifierait que l'on veuille venir en l'aide à l'enfant en « faisant à sa place », ce qui revient au final à garder du pouvoir sur lui.

D'après des statistiques de 2011 (concernant des couples mariés), la résidence alternée concernerait 5% seulement des enfants de moins de 1 an et elle se situe chez le père dans seulement 1 % des cas. Pour les enfants de quatre ans elle concernerait 15,5 % des cas.

Bernard Golse pense qu'il y a une confusion entre égalité des droits des parents et l'interchangeabilité de leurs rôles. Cette dernière est issu du fantasme d'une bisexualité universelle, confuse et mal comprise.

Celle-ci fait fi des travaux sur l'attachement dont les premiers et les plus célèbres sont ceux de John Bowlby [7] et des Robertson  [8]. De façon plus récente, il est apparu une grande finesse chez le bébé et ses parents dans la spécificité du système d'attachement dyadique et triadique. Le bébé est un très bon observateur, un très bon "psy" travaillant sur les affects de l'autre : « Est-ce que ma mère est comme d'habitude ? » se demande-t-il chaque matin... Cela l'introduit (tout comme le mari ou le partenaire amoureux de la mère) à la culpabilité: « Qu'est-ce que je lui ai fait pour qu'elle soit comme çà ? » et/ou à la tiercéïté: « Qui a-t-elle rencontré pour qu'elle soit comme çà ? ».

Or comme le rappellera Didier HOUZEL [9], discutant de cette soirée, la mère (modèle interne opérant, référence prévalente) n'est pas totalement invariante. Elle est d'ailleurs bien décrite par le vers célèbre de Verlaine « D’une femme... et qui n’est chaque fois ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». 

La communication de type pré-verbal chez le bébé est une réponse à un attachement intériorisé réussi. La main levée par l'écolier de CP en est un avatar peu décrit mais signifiant : « Maitresse, premièrement j'existe et deuxièmement viens me voir ».    

Bernard  Golse en infère qu'il ne faudrait pas de nuit chez l'autre parent avant 18 mois/2 ans. Brazelton [10] dans son calendrier dit quant à lui 2 ans/2 ans 1/2 ... La crise des 2 ans 1/2, selon Geneviève HAAG [11], est un moment crucial bien repérable. L'enfant est « bien dans sa peau », les enveloppes se sont bien mises en place, le corps s'est « sphinctérisé ». C'est l'âge du dessin du rond et du "oui" et du "je". Le "non" vient toujours avant le "oui" (car celui-là est moins dangereux que celui-ci) de même que l'écriture (expulsion) vient toujours avant la lecture (incorporation de la pensée de l'autre). A cet âge, l'absence devient  pensable car les liens d'attachement ont commencés à être intériorisés.


Chez le bébé plus jeune, l'absence (de l'objet d'attachement) est proprement impensable selon Bion [12]). Elle est vécue comme une persécution: « Ma mère est là, mais elle ne veut pas me voir »


Bernard Golse dresse ensuite un rapide tableau des symptômes du côté des enfants.  


Insécurité, affects dépressifs, troubles dermatologiques (eczéma), troubles du sommeil sont au rendez-vous. Il insiste sur le symptôme agressivité souvent (rapporté par/et) à l'encontre de la mère. Il rappelle l'interprétation qu'en donnait Winnicot : tout se passe comme si l'enfant  voulait  vérifier la solidité de l'autre, que l'objet d'amour survit à ses attaques [13]. Hypersensibilité à la séparation et intolérance à la frustration sont également omniprésents. 

Bernard Golse s'interroge sur la responsabilité réelle de la résidence alternée dans l'étiologie des symptômes présentés et la part qu'y prend le conflit entre les parents. « Pour réussir un divorce, il faudrait beaucoup s'aimer ». Vœu pieux en l'occurrence, si seulement chaque parent pouvait respecter le point de vue de l'autre !

Alors que faire, alors que la situation législative n'a pas évolué depuis décembre 2013 ?

Demander que le (sacro-saint) principe de précaution soit appliqué, pourquoi pas, si pour une fois c'est au bénéfice de l'enfant. Et non celui de l’égalité et de l’équivalence uniformisante et relativisante entre chaque parent. Dans l'attente des résultats des études (pas avant 10 ans), il devrait y avoir un moratoire… 

La formation des JAF (Juges aux affaires familiales) est un autre levier possible  car ils sont très souvent mal formés et débordés (Ils doivent statuer sur un dossier en moins de 10 minutes).

Les praticiens de l'enfance, même s'ils sont limités dans la rédaction de certificats, ont la possibilité de s'impliquer. Comment ? Par des explications simples apportées aux parents et référencées aux connaissances modernes sur l'attachement et la séparation. Le jeune enfant ne peut avoir initialement qu'une seule personne d'attachement. Le méconnaitre et en faire fi, exposent immanquablement au non-investissement de l'autre parent.         


Alain QUESNEY

     
Bibliographie :

1- ARIES Philippe : L'enfant et la vie familiale sous l'ancien régime. Le Seuil « Points Histoire » 1975
2- SOULE Michel : Mère mortifère, mère meurtrière, mère mortifiée. ESF, Coll. « La vie de l'enfant » 1980 (3ème édition)
3- FREUD Sigmund: Psychologie des masses et analyse du moi. PUF réédition « Oeuvres complètes psychanalyse » 2010
4- PIERREHUMBERT Blaise: Le premier lien, théorie de l'attachement. Odile Jacob, 2003
5- FREUD Sigmund: Inhibition,symptôme et angoisse. PUF (Paris) 1985
6- DAVID Myriam, APPELL Geneviève: Loczy ou le maternage insolite. Erès (nouvelle édition) 2014
7- BOWLBY John: Attachement et Perte.  PUF (Paris) 1978
8- ROBERTSON James et Joyce : "John", tourné en 1969, et "A Two Year Old Goes to Hospital", tourné en 1953, font partie des sept films sur l'attachement tournés par James et Joyce Robertson. Ils sont disponibles chez Concord Video ou sur le site des Robertson.
9- HOUZEL Didier: La transmission psychique: parents et enfants. Odile Jacob (Paris) 2010  
10- BRAZELTON Berry, GREENSPAN Stanley: Ce qu’un enfant doit avoir. Stock (Paris) 2001
11- HAAG Geneviève: Le moi corporel  - L’enfant, ses parents, et le psychanalyste.  C. Geissmann et D. Houzel eds, Paris, Bayard (2000) 
12- BION W.R: Aux sources de la pensée. PUF (Paris) 1979
13 WINNICOT DW: L'agressivité et ses rapports avec le développement affectif - De la pédiatrie à la psychanalyse. Payot  (Paris) 1989

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