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3 février 2013

DUR DUR LE DODO A LA CRECHE


Un sommeil suffisant est l'une des particularités indispensable au bon développement psycho-affectif du jeune enfant. Le nourrisson dort en effet spontanément entre 18 et 20 h par jour, 13 et 14 h lorsqu'il a un an et le jeune enfant encore 11 à 12 h vers l'âge de 4 ans. La reprise du travail précoce des parents oblige souvent à perturber ces rythmes physiologiques. Avec quels risques et quelles conséquences?




Une crèche vient de s'ouvrir à Niort. Sa particularité, être ouverte de 5h 30 à 22h 30 le soir, du lundi au samedi. Dans le Calvados, en périphérie de Caen, une crèche de 40 berceaux est ouverte de 5 heures à 22 heures. Elle ouvre donc ½ heure plus tôt et ferme aussi ½ heure plus tôt. Les médias qui nous relatent ces nouveautés nous précisent que ces lieux de garde ont pour elles "la spécificité de répondre aux contraintes professionnelles des salariés. D'ailleurs, ce nouveau concept de crèche a déjà séduit plusieurs entreprises partenaires qui en ont d'ores et déjà réservé l'accès, aidant ainsi au financement des travaux." Pour la seconde crèche, le journaliste présente cette création comme  "l’œuvre de deux jeunes ingénieurs ayant l’esprit d’entreprise et ayant pour projet de multiplier ce type de crèches inter-entreprises se distinguant par cette amplitude  horaire".


Ni dans l’article de la Nouvelle République, ni dans celui de Ouest-France on ne parle des enfants qui sont ainsi soumis à de tels horaires et d'éventuels retentissements que cela occasionne chez eux. Si un enfant est confié à la crèche à 5 heures du matin, cela signifie qu’il a été réveillé un peu avant. A moins qu'étant véhiculé en état de sommeil, il ait été confié à la crèche endormi et qu’il ne se soit aperçu qu’il était à la crèche et non plus chez lui, qu’à son réveil, quelques heures plus tard sans savoir ce qui s'était passé entre deux.


Ceux qui ont créé ces deux crèches ont très certainement demandé et obtenu l’accord des autorités sanitaires. A Niort, comme à Caen, les autorités ont constaté que les crèches avaient la superficie requise, des règles de sécurité respectées et un personnel formé en nombre nécessaire. Au strict plan administratif, il est à peu près sûr que ceux qui ont donné leur accord pour la création de ces crèches n'ont pas eu l'occasion d'étudier les conséquences à Niort ou ailleurs de ces levers  précoces. 

Mais comme le dit le journaliste de la Nouvelle République, ces crèches ont pour but  de "répondre aux contraintes professionnelles des salariés ... et  ce nouveau concept de crèche a déjà séduit plusieurs entreprises partenaires". Alors si les entreprises sont séduites, les enfants auraient tort de protester. Même les parents seraient partie prenante puisque "Il y a eu une demande importante au vu des horaires proposés" explique le gérant de la crèche de la région caennaise.  

On peut cependant se montrer inquiet de voir que de très jeunes enfants vont être réveillés avant 5 heures du matin. On a l'impression que les conditions de travail imposées aux femmes par l'employeur sont au centre de tout, que les  parents salariés doivent s'y plier et par voie de conséquence leur enfant. Personne n’a considéré que réveiller un nourrisson avant cinq heures du matin est un acte qui mériterait qu’on y réfléchisse et qui ne devrait se justifier que de façon exceptionnelle. Le cas de figure des enfants qui doivent être déposés chez une nourrice à 5h du matin pour que leur mère aille travailler dans l'entreprise en question sont bien sûr logés à la même enseigne. Certaines mères choisissent même parfois, pour éviter ce réveil précoce, laisser leur enfant dormir chez l’assistante maternelle dès la veille au soir, ce qui pose alors d'autres questions relationnelles.

Quelle est l'évolution normale de l'organisation du sommeil chez le jeune enfant ? 



Le nourrisson a un sommeil rythmé par les besoins alimentaires et favorisé par les motivations instinctives (comme le réflexe de succion). L'aspect fusionnel mère-enfant de ces premiers mois nécessite la présence de l'image maternelle, expliquant le caractère positif du partage de la chambre ("co-sleeping") à ne pas confondre avec le partage du lit ("bed-sharing"). La présence physique et psychique de la mère ou d'un substitut est donc primordiale pour que le nourrisson s'endorme dans un climat de sérénité et sécurité, parfois aidé par des petits moyens (pouce, tétine, câlins, musique douce, bercement, berceuses, promenade, portage, contention...).

Après l'âge de 6 mois, le nourrisson commence à acquérir une autonomie psychique et développe une angoisse de séparation maternelle. L'endormissement est souvent plus délicat et l'enfant adopte, pour se rassurer, ce que l'on nomme un "objet transitionnel" ("doudou", "dadou", peluche, pouce ou tétine...). L'enfant s'assure un propre espace psychique et doit vivre l'expérience et la frustration de la séparation. Les parents ou leurs substituts, doivent alors accompagner le sommeil de l'enfant dans une ambiance de calme et de réassurance, en respectant les rituels et l'objet transitionnel. L'enfant apprend à se retirer du monde extérieur sans être effrayé.

Après un an, l'enfant poursuit l'acquisition de son autonomie, favorisée en cela par le développement de ses activités motrices. Des difficultés d'endormissement surviennent souvent du fait de frustrations de quitter ce monde nouveau excitant. Des rêves anxieux créés par des phénomènes inconnus qu'il ne maîtrise pas (noir, nuit, isolement...) viennent parfois interrompre les cycles de sommeil. Là encore réassurance et aussi fermeté doivent être présentes pour que tout se passe pour le mieux.

Quels sont les risques de ces ruptures du rythme physiologique du sommeil ?


Le sommeil, au même titre que l'alimentation, les stimulations, la sécurité et l'amour parental, font tous partie des besoins fondamentaux (dans notre langage pédiatrique on parle souvent de "besoins primaires") de l'enfant. Le sommeil est l'un des éléments  majeurs de l'équilibre de la santé physique et psychique. Réveiller des enfants et leur faire vivre des agressions répétées, c'est indépendamment des répercussions psychologiques, les affaiblir aussi sur le  plan immunitaire. C'est à dire les rendre plus fragiles en ce qui concerne les maladies infectieuses et même les maladies  infectieuses les plus graves. A ce titre, le jeune enfant doit être impérativement protégé et être l'objet de toutes les attentions pour ceux qui se préoccupent de prévention médicale infantile.

Deux associations étasuniennes (1) ont retenu, parmi les quatre catégories de la classification internationale des troubles du sommeil, les troubles de l'horaire veille-sommeil transitoires (changements de fuseaux horaires, travail posté) ou bien durables.

On peut imaginer que les enfants soumis à ces changements horaires, ont des troubles du sommeil identiques aux travailleurs qui ont des horaires de travail irrégulier, dits "postés", décrits de longue date et unanimement reconnus.


On peut aussi facilement penser que des réveils provoqués, répétés, et qui plus est sur des rythmes hebdomadaires différents, peuvent entraîner une désorganisation des différentes phases du sommeil (léger, profond et paradoxal). Or le sommeil permet une régénération des systèmes nerveux musculo-squelettique mais aussi immunitaire. Une privation de sommeil paradoxal peut entraîner des troubles du caractère (anxiété, irritabilité). Cette phase paradoxale du sommeil est également celle de la mémorisation et de la consolidation des apprentissages. 

Toutes ces données sont en fait encore approximatives et peu explorées par la médecine en générale et la pédiatrie en particulier. Les échanges sérieux sur ces questions, les colloques, congrès et journaux médicaux sont très  fortement dépendants des laboratoires pharmaceutiques qui sont bien sûr insensibles à ces problèmes dont les solutions ne sont pas médicamenteuses. Toutes les questions qui touchent à l'environnement, au mode de vie et à l’organisation sociale sont loin d'être des priorités du corps médical ou du Ministère de la Santé.

Il serait pourtant tout à fait opportun que les organismes qui agréent ces établissements puissent entreprendre des études précises, prospectives sur l'incidence de ces dysrythmies sur l'organisation du sommeil des enfants.


Corollaires du fonctionnement de ces crèches à dimension inhumaine


Il parait démontré que dans le cas de figure exposé, soient plus pris en compte les exigences de l'employeur et de l'entreprise, et accessoirement les besoins socio-économiques des parents, que les besoins de l'enfant. En période de plein emploi, la possibilité de prise en charge de l'enfant dans une crèche proche du lieu de travail avec des horaires variables pour des professions astreintes à des horaires postés (infirmières, aides soignantes...) peut représenter un avantage en nature acceptable et incontournable. En période actuelle de plein chômage, le "deal" est différent, l'employeur n'a plus d'état d'âme et ce type de crèche d'entreprise risque d'être une régression sociale obligée, destinée à étendre les plages horaires de la productivité. L'employée ne peut que se soumettre à ce changement des règles du jeu si elle veut continuer la partie.

Il serait de plus intéressant pour l'ensemble des enfants qui fréquentent des modes d'accueil de la petite enfance aux horaires extrêmes, de préciser la catégorie socio-professionnelle des parents, voire leur statut familial (parent isolé, familles nombreuses). En poussant le raisonnement jusqu'au bout , on se rendrait surement compte que ce sont des catégories socio-économiques dites "inférieures" qui sont astreintes à ce mode de garde non physiologique. Cette organisation incontournable du sommeil (en réalité plutôt désorganisation) serait alors un handicap supplémentaire imposé à ce milieu déjà défavorisé.


Dernière remarque, le congé maternité n'est en France que de 16 semaines (6 avant et 10 semaines en post-natal). Il est identique en Espagne et en Autriche. Par contre pour le Royaume-Uni ou l'Irlande, 26 semaines sont accordées, 28 semaines en Slovaquie et 58 semaines en Bulgarie. Les familles  les plus favorisées sont celles de Suède où l'on peut aller jusqu'à 75 semaines, avec un transfert possible vers un congé paternel (2) 

Le Parlement européen a souhaité aller plus loin en proposant un congé de maternité de 20 semaines entièrement rémunérées et l'introduction d'un congé de paternité de deux semaines. Appelés à voter le 17 juin 2011, le Conseil de l'Union européenne et le Parlement n'ont pas réussi à trouver d'accord.

Pourtant, selon une récente enquête "Eurobaromètre" au sein de l'UE, une majorité des citoyens européens (78 %) est en faveur d'un congé de maternité de 20 semaines entièrement rémunérées.

Une durée plus raisonnable et plus humaine de ce congé de maternité permettrait déjà aux bébés de prendre leurs marques après ces 9 mois passés bien au chaud dans le cocon utérin. Cela permettrait à plus de mères qui le souhaitent d'allaiter en toute sérénité et dans le calme sans penser à la date-butoir de reprise du travail. On pourrait rajouter que l'éviction de la collectivité des premiers mois de vie minimiserait largement  les risques de contamination lors des épidémies hivernales de bronchiolite et de gastro-entérites. 

Tout cela pourrait atténuer les troubles du sommeil artificiels des premiers mois de vie et autoriserait le petit nourrisson à pouvoir enfin "dormir comme un bébé"... 

On peut toujours rêver ?


Jean-Pierre LELLOUCHE - Michel NICOLLE - Dominique LE HOUEZEC 


(1) Diagnostic classification of sleep and arousal disorders. 1979 first edition. Association of Sleep Disorders Centers and the Association for the Psychophysiological Study of Sleep. Sleep. 1979 Autumn;2(1):1-154

(2) Site "Toute  l'Europe.eu" 

3 commentaires:

  1. Tout à fait super et bien documenté ! Bravo à ce trio de pédiatres protestataires qui défendent si bien et à juste titre le point de vue de l'enfant.

    On pourrait souhaiter avoir le point de vue (non nominatif) des parents utilisateurs.

    Un point de détail à préciser : e co-spleeping est un terme un peu ambigu. Il pourrait désigner le fait de dormir dans le même lit et non simplement dans la même chambre. Il s'agirait alors du bed sharing qui est plus précis et peu souhaitable. Je n'ai pas trouvé un terme français qui voudrait dire être dans la même chambre sans partager le même lit. La photo mise par le responsable du blog est heureusement parfaitement claire.

    Crazy World! Quand le parti prétendument socialiste refuse un projet de loi concernant le danger potentiel des ondes électromagnétiques,
    quand les tablettes envahissent nos salles d'attente et les portables les cours de récréation du primaire, quand Carrefour est ouvert le jour de la Toussaint, quand l'on envisage à nouveau l'école maternelle à 2 ans pour tous, car cela fait moins d'adultes par enfant et donc économie, économie (voir à ce propos article de GOLSE dans Pédiatrie Pratique numéro 244 de janvier 2013), quand il n'y a plus de Défenseure des enfants... Pourquoi ne pas aller cultiver son jardin ou lire Villiers de l'Isle Adam devant son poêle ?

    Alain QUESNEY

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  2. Cet article est effectivement documenté et argumenté. Ce qui me gène par contre, par rapport à une situation manifestement non souhaitable (déposer un bébé à la crèche à 5 H du matin), c'est d'opposer une formule idéalisée ou prétendue idéale (co-sleeping institutionnalisé, allaitement maternel prolongé, mère disponible pour un long congé de maternité, horaires de travail ensuite adaptés aux situations familiales...) à la dure réalité de la vraie vie.

    Cela risque de disqualifier ce discours qui fait passer ses promoteurs pour de doux rêveurs voire des extrémistes alors que certaines mères ne souhaitent ou ne peuvent pas allaiter, certaines ne sont pas prêtes à un co-sleeping vécu comme anxiogène, certaines ont envie de retourner au travail rapidement et ne pas avoir un congé trop long car elle se réalisent pleinement dans leur vie professionnelle. Les témoignages de certaines féministes sur le congé de maternité et l'enfermement des femmes dans les tâches ménagère, via la maternité et l'allaitement en sont des illustrations.

    En définitive, ce sont les parents qui décident et doivent décider de ce mode de vie familiale en faisant souvent ce qu'ils peuvent. Ce ne sont pas les parents qui ont choisi de travailler à 5 H du matin. En cette période de chômage, beaucoup n'ont pas d'autres choix afin de "faire bouillir la marmite". On peut de plus imaginer que les mères qui conduisent leur enfant à 5 H du matin sont des parents isolés, qui sinon pourraient confier l'enfant à l'autre parent pour le conduire à une heure plus raisonnable.

    Certains professionnels de l'enfance trouvent par exemple que confier son enfant le soir à une nourrice ou une grand-mère plutôt qu'à 5 H du matin au personnel d'une crèche, c'est une moins mauvaise solution. Bien sûr ce n'est pas l'idéal mais j'ai tendance à penser que c'est un compromis acceptable. Cela signifie également que les parents se sont posés la question de l'importance du sommeil de leur jeune enfant.

    S'ils nous interrogent sur le sujet directement en tant que professionnels de l'enfance, on peut dire ce que l'on pense. On doit surtout écouter, aider les parents à réfléchir quand on les sent demandeurs, ou prêts à entendre. Donc dire ce qui semble souhaitable quand les parents le demandent, et surtout leur demander ce que eux en pensent et peuvent en faire.

    La majorité des citoyens est contre le productivisme (et pour un congé de maternité prolongé). Qui pourrait être contre, quand il avilit et use les femmes et les hommes. Le dire peut soulager celui qui le dit, et encore car cela reste pour l'instant un voeu totalement pieux. En résumé, se taire n'est sans doute pas le bon choix, mais dire les choses quand on est dans un rapport de force à des parents qui sont dans une situation complètement bloquée ne peut qu'augmenter leur désarroi et le poids que l'organisation actuelle du travail leur impose.

    S'il y a une action à mener, ce serait en direction des politiques qui sont les seuls décideurs à pouvoir faire évoluer la société.

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  3. Article très intéressant, tout deux parents d'un enfant de 4 ans et d'un bébé de 4 mois, avec des postes infirmiers commençant à 6h 30 le matin et pouvant finir à 22h, nous avons en effet une crèche nous permettant de déposer notre fille à ces horaires. Ayant réfléchi au problème pour mon aîné, j'ai la chance d'avoir une maman disponible qui les réveille et les prépare pour 9 H. Mes collègues n'ont pas cette chance et en effet les enfants sont décalés en sommeil et irritables

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